Les questions liées au paiement sont centrales dans toutes les activités liées aux divertissements pour adultes sur internet. Les offres et les technologies évoluent très vite en la matière. Pour y voir plus clair, nous avons interrogé Jean-Michel, fondateur et webmaster de vends-ta-culotte.com.
Bonjour, Jean-Michel. Les systèmes de paiement en ligne c’est un sujet de plus en plus important dans le secteur du divertissement pour adulte ?
En réalité, la question a toujours été un sujet majeur. Tous ceux qui travaillent dans le secteur le savent bien : c’est très compliqué de trouver une banque pour vous accompagner dans votre activité ou alors on vous fait payer des frais disproportionnés. Disons que le sujet est devenu de plus en plus brûlant avec d’un côté des contraintes de plus en plus fortes imposées par les acteurs « institutionnels » du secteur, typiquement Mastercard, et en parallèle le développement de plus en plus d’offres alternatives, plus ou moins viables.
Depuis l’extérieur, on a du mal à comprendre ce que représente concrètement ces contraintes.
Et pourtant, pour nous, ce sont vraiment des murs auxquels on se heurte en permanence, au quotidien. C'est au cœur de l'outil VTC de proposer aux vendeuses et aux acheteurs un système vraiment fiable. Cela fait dix ans que l’outil est à disposition des vendeuses et nous sommes heureux d’avoir toujours réussi à gérer les difficultés en la matière. Les vendeuses de la plateforme ont toujours touché leurs ventes, avec des versements réguliers. On sait que c’est un argument important pour les vendeuses qui utilisent l'outil pour développer leur boutique, d’autant qu’elles ont souvent besoin de cet argent pour leurs dépenses essentielles. Nous sommes d’ailleurs un des rares sites à proposer un versement hebdomadaire pour les vendeuses certifiées. A contrario, certaines plateformes du secteur ont carrément dû fermer à la suite de la faillite de leur système de paiement et certaines vendeuses y ont perdu des sommes importantes. C’est pour ça qu’il faut bien identifier ce qui est fiable et ce qui l’est moins, sans forcément céder au chant des sirènes d’une offre un peu moins cher. Un système comme PayPal, par exemple, c’est sympa mais on sait que ce n’est pas fiable avec l’adulte donc on ne le fait pas.
Mais les systèmes les plus fiables impliquent d’autres contraintes.
Exactement. Les systèmes les plus fiables sont de grosses entreprises internationales, d’origine américaine, Visa et Mastercard, pour ne pas les citer, qui sont ainsi dans une situation quasi-monopolistique. Elles non plus n’aiment pas trop le secteur adulte et leur position ultra dominante leur donne un gros moyen de pression sur les entreprises du secteur. A l’automne dernier, Mastercard a fait savoir qu’ils allaient « serrer la vis » en retirant leur service aux entreprises proposant des contenus qui ne leur convenait pas. Mais, c’était une menace assez vague. Déjà, on n’est pas contacté directement, ensuite on ne sait pas exactement ce qui ne leur convient pas : on voit passer des critères très généraux qu’il convient ensuite d’interpréter. De cette manière, ils essayent plus d’instaurer un climat de terreur que de vraiment définir des règles. Et ça fonctionne : un gros généraliste comme OnlyFans a un temps envisagé d’arrêter l’adulte pour ne pas risquer l’ensemble de son activité, et il est encore possible que cela se concrétise dans le futur. AVN a également dû se recentrer sur des activités moins risquées.
Et vends-ta-culotte a aussi été impacté ?
Bien sûr. Sur VTC, on n’a jamais autorisé de contenus illégaux, il s’agit toujours de jeux érotiques entre adultes consentants où l’intégrité des personnes est respectée, mais on peut toujours se demander si d’autres feront bien la différence, comme nous, entre des pratiques évidemment condamnables et ce qui est de l’ordre du fantasme et du jeu sexuel. Car il faut savoir que Mastercard, c’est la World Company : ils ne s’abaissent pas à parler avec leurs petits clients. On n’a aucun interlocuteur chez eux, aucun dialogue. Ils balancent des règles très générales et on doit se débrouiller avec.
Quelles sont les mesures que vous avez dû prendre ?
On a d’abord dû dépublier une quantité assez importante de contenus qui étaient déjà présents sur le site et ne respectaient pas les nouvelles contraintes imposées. Il a ensuite fallu développer en urgence un outil de modération a priori des contenus sur la plateforme. On y a inclus de l’intelligence artificielle pour pouvoir prendre en compte des éléments de contexte et ainsi déceler les nuances que j’évoquais à l’instant. Tout ça a bien sûr impacté l’activité des vendeuses et créé une incertitude difficile à lever car nous manquons nous-mêmes d’informations précises sur ce qu’on a le droit de faire ou pas. C’est vraiment un contexte de travail difficile pour tout le monde et je ne suis pas loin de penser que c’est précisément ce que recherchent ces entreprises qui mènent là une sorte de croisade un peu moraliste. De fait, on peut craindre que les choses ne vont pas aller en s’arrangeant.
Quelles sont les solutions alternatives dans ce cas ?
En ce moment, dans le secteur adulte tous les regards se tournent vers les cryptomonnaies. En réalité, le cœur du sujet, c’est plutôt la blockchain. La blockchain est une technologie qui permet de décentraliser les réseaux informatiques, et notamment le traitement et la sécurisation des paiements. En sécurisant et cryptant les données sur des milliers d'ordinateurs, on n’a plus besoin d'un seul intermédiaire qui centralise toutes les données, comme l'ont fait les banques jusqu'à présent. Le pouvoir de ces intermédiaires est "court-circuité", cela offre donc plus liberté, puisque l'on ne dépend plus de leurs politiques internes, tout en conservant une procédure sécurisée et fiable. Et il y a des milliers d'autres applications de la blockchain, cela ouvre beaucoup de perspectives passionnantes !
Quel est donc le rapport entre blockchain et cryptomonnaies ?
A la base, la cryptomonnaie, c’est juste l'huile qui permet de faire fonctionner les rouages de la blockchain, en payant ceux qui mettent leurs ordinateurs à disposition du système. En même temps, c’est une application qui utilise la blockchain pour sécuriser sa valeur et assurer l’identité de son propriétaire. On entend souvent dire que la crypto, c'est un outil pour les mafieux ou les terroristes, avec une image négative. C'est faux, c'est un outil de liberté (pour le moment). C'est aussi une valeur refuge en période de crise.
Alors, est-ce que cela peut être la solution-miracle pour gérer les paiements dans le secteur adulte ?
Je pense que oui mais j’ai quand même des réserves. En ce moment, on voit apparaître des cryptomonnaies dédiées spécifiquement au secteur adulte, pour s’affranchir des contraintes évoquées plus haut. C'est très bien et cela semble tentant de prime abord mais attention tout de même. D’abord, les cours de ces cryptomonnaies sont fluctuants et les cryptos, c’est très spéculatif, avec très peu de monnaies qui prennent de la valeur à long terme. Si vous êtes payé avec une crypto qui peut perdre 50% de sa valeur en deux jours, ce n’est pas très sécurisant ! En outre, avec une crypto dédiée à l’adulte, on retombe dans le même travers vis-à-vis des institutionnels, avec lesquels on reste obligé de travailler à un moment ou à un autre, qui sont hostiles à l’adulte, mais aussi à la crypto : on risque alors la double peine ! Autre écueil, ces cryptos sont souvent compliquées à l’utilisation : il faut créer son wallet, acheter une première crypto pour pouvoir acheter la crypto spécifique puis refaire le chemin en sens inverse… Je pense qu’on va souvent avoir du mal à motiver le client final, qui ne verra pas forcément son intérêt à faire tout ça. En outre, dans l’imaginaire collectif, on imagine, et certains le laissent croire, que la crypto permet de préserver son anonymat, ce qui est une motivation importante dans l’univers adulte. Mais, attention, vos transactions réalisées et les informations de votre portefeuille seront de fait inscrites dans la blockchain, et donc accessibles à ceux auxquels vous donnez les coordonnées de votre portefeuille. Sinon, il faut utiliser des blockchains anonymes qui, pour le coup, sont des repaires d’activités peu recommandables et que les autorités voient d’un très mauvais œil. Bref, il faut trouver le bon équilibre en la matière et ce n’est pas évident. De manière générale, il y a d’ailleurs un risque réglementaire important autour des cryptomonnaies. Les réglementations évoluent très vite (les banques et les institutions ne veulent pas voir se développer un secteur qui pourrait les concurrencer sans leur contrôle). Rien ne dit qu'il soit encore possible de pouvoir émettre des cryptos si facilement demain, avec des licences beaucoup plus contraignantes, on peut même envisager des interdictions pures et simples. On parle aussi beaucoup en ce moment de la réglementation de l'Union européenne qui, au motif de lutter contre le réchauffement climatique et sous la pression de lobbies bancaires, vise à interdire le POW dans les pays de l'UE (le POW étant l'algorithme qui permet à beaucoup de cryptos de fonctionner).
Quelles sont les solutions qui vous semblent les plus pertinentes, dans ce cas ?
Il existe des alternatives qui me paraissent aujourd’hui mieux répondre à notre problématique. Je pense en particulier qu’il est préférable de se baser sur des stable coins, des cryptomonnaies indexées sur l’euro ou sur le dollar et qui, de fait, ne varient pas ou très peu. Il faut comprendre que ceux qui créent des cryptos fluctuantes le font aussi par appât du gain car si leur cours monte, ils peuvent gagner d’énormes sommes d’argent. Le problème, c’est que dans l’immense majorité des cas, ce sont quand même des actifs très risqués avec lesquels on peut aussi perdre pas mal d’argent. Nous, ce qu’on veut c’est juste un système de paiement fiable et stable avec plus de liberté qu’en passant par les institutionnels. Dans cette optique, je pense qu'il est aussi préférable d’utiliser une crypto généraliste pour s’affranchir du « traitement spécial » réservé au secteur adulte. Enfin, il faut que la solution proposée soit la plus simple d’utilisation possible, parce qu’on s’adresse à un public assez large, aussi bien du côté des acheteurs que de celui des vendeuses, rarement à des cryptogeeks, même s’il peut y en avoir, bien sûr !
On pourrait donc voir bientôt de la cryptomonnaie débarquer sur vends-ta-culotte ?
Oui, je pense qu’il sera à terme impossible de s’en passer, même si probablement plusieurs systèmes de paiement pourront coexister pendant une certaine période. C'est un gros sujet chez nous depuis longtemps et on veut vraiment trouver la meilleure solution. On espère que ça pourra se concrétiser bientôt.